Pour la première fois, le marché belge de la banque privée dépasse la barre des 400 milliards d’euros. Cet argent est réparti auprès de différents acteurs, des grandes banques aux banquiers privés exclusifs, en passant par les gestionnaires de patrimoine.
Quelques centaines de milliers de nos concitoyens ne gèrent pas leurs finances au guichet de l’agence bancaire du coin, mais font appel à un banquier privé ou à un gestionnaire de patrimoine. Ces plus de 5.000 spécialistes répartis dans quelques dizaines d’institutions se disputent les faveurs des Belges fortunés pour leur fournir des conseils et une gestion sur mesure.
Le secteur est très concurrentiel et les banquiers n’aiment pas citer de chiffres. Résultat, il n’y a aucune donnée disponible sur ce marché. Une enquête de la rédaction auprès des acteurs du marché belge nous a cependant permis de récolter certaines données. D’après les informations collectées, il apparaît que les Belges fortunés disposant d’au moins250.000 euros ont confié au total 400 milliards d’euros aux 24 institutions financières reprises dans notre enquête. En trois ans, celles-ci ont constaté une hausse de 8% de leurs actifs sous gestion (Assets under Management ou AuM).
« Dans le département Professional Wealth, des spécialistes peuvent conseiller des cadres en matière d’options sur actions, par exemple. »
Une part importante de ces richesses est confiée aux grandes banques: BNP Paribas Fortis, KBC, ING Belgique et Belfius disposent chacune d’un département de banque privée. En outre, certains acteurs proposent une division distincte réservée aux très riches, sous l’appellation Wealth Management, dont le seuil d’entrée se situe à 5 millions d’euros.
Les critères pour accéder aux services d’un banquier privé sont très différents d’une institution à l’autre. BNP Paribas est le banquier privé le plus « démocratique » des quatre grandes banques, avec un seuil d’entrée de 250.000 euros. Chez ses concurrentes, ce seuil est beaucoup plus élevé – de 500.000 à 1 million d’euros – même si certaines exceptions sont consenties pour des clients bénéficiant d’un « potentiel de croissance ».
Ce seuil relativement bas permet à BNP Paribas Fortis d’afficher le plus grand nombre de clients et le montant le plus important d’AuM (assets under management). Chez ses concurrentes, les clients disposant de plus de 250.000 euros bénéficient également d’une approche plus personnalisée que les services Retail traditionnels. Ces services ont des appellations diverses, comme par exemple « Premium Banking » chez KBC ou « Personal Banking » chez ING, un service dédié aux clients qui disposent de 100.000 euros.
Ces différentes segmentations ne facilitent guère la comparaison entre les services de Private Banking des grandes banques. C’est pourquoi le tableau ci-contre reprend toutes les données des clients Private Banking et celles des clients disposant de plus de 250.000 euros faisant appel à des services spécifiques. Au total, il s’agit de 280 milliards d’euros pour les quatre grandes banques, ce qui représente une augmentation de 6% en trois ans. Cette hausse s’explique en partie par les bons résultats de la Bourse au cours de cette période, mais aussi par l’augmentation du nombre de personnes faisant appel aux services d’un banquier privé. Une autre explication, c’est que des acteurs comme Belfius ont recruté et élargi leurs équipes.
BNP Paribas Fortis a vu le nombre de ses clients augmenter de plus de 8% en trois ans, pour atteindre 119.000. Ce résultat est dû au développement de sa division Wealth. Au cours des dernières années, la banque a mis en place des services spécifiques comme le « desk » Professional Wealth dédié aux cadres de multinationales et associés de grands cabinets d’avocats, consultants, lobbyistes et cabinets d’audit. « Nous avons des spécialistes capables de les conseiller par exemple en matière d’options sur actions« , explique Valéry Halloy de BNP Paribas Fortis.
Degroof Petercam et Delen continuent à dominer
En dehors des grandes banques, le marché est dominé par des banquiers privés spécialisés, qui gèrent au total plus de 10 milliards d’actifs. Deux acteurs belges occupent la tête du classement. Il s’agit de la firme bruxelloise Degroof Petercam, également active en banque d’affaires, et de Delen Private Bank, propriété du holding Finaxis (Ackermans & van Haaren), qui détient également Bank J. Van Breda & C°. Elles se situent plus ou moins au même niveau que certaines grandes banques en termes de nombre de clients en banque privée.
Dans le même segment, on trouve des filiales de grandes banques étrangères, comme Deutsche Bank et ABN AMRO Private Banking qui, après le rachat de la branche belge de Société Générale Private Banking (lire page 9) , a vu sa taille doubler. La nouvelle entité dépasse désormais Puilaetco Dewaay, une filiale de KBL European Private Bankers, qui faisait auparavant partie du groupe KBC.
Ces trois dernières années, les banquiers privés de ce segment ont affiché d’excellents résultats. Les actifs sous gestion ont augmenté de 15% pour atteindre 102 milliards d’euros, et les banques continuent à investir dans leur croissance. Degroof Petercam vient par exemple d’ouvrir une nouvelle agence dans la région campinoise.
Les acteurs de niche grandissent aussi
Les Belges aisés disposant d’avoirs de 250.000 euros peuvent aussi faire appel à des dizaines d’autres acteurs, filiales de spécialistes étrangers en banque privée, comme les néerlandais Van Lanschot ou Banque du Luxembourg, à des acteurs belges comme Dierickx Leys Private Bank, ainsi qu’à un large éventail de gestionnaires de patrimoine spécialisés et de sociétés de bourse ne disposant pas nécessairement d’un statut bancaire.
Ce groupe hétérogène croît au même rythme que les grandes banques, avec une augmentation de 8% de leurs AuM, pour un total de 24 milliards d’euros. Ce chiffre masque parfois des écarts importants entre les institutions. Parmi les véritables banquiers privés, Banque de Luxembourg Belgique sort du lot. Ses actifs sous gestion ont augmenté de près d’un tiers pour atteindre 3,9 milliards d’euros, ce qui l’amène pratiquement au même niveau que Van Lanschot.
Dans le segment des gestionnaires de patrimoine, la première place est occupée par Mercier Vanderlinden Asset Management, le véhicule créé par les familles Devos-Lemmens et Frisk, qui ont fait fortune avec An-Hyp. Le gestionnaire a vu ses actifs sous gestion quasiment doubler, pour passer de 1,5 milliard d’euros en 2015 à 2,9 milliards d’euros aujourd’hui. Quant à son petit concurrent Truncus Wealth, il a progressé de 50%.
Parmi les petits acteurs, on s’attendait à une vague de consolidation suite notamment au renforcement des règles MiFID et à l’augmentation de la charge administrative et des investissements en IT que ces règles exigent. Mais chez Mercier Vanderlinden, on a opté pour une stratégie à contre-courant. « Nous offrons aujourd’hui exclusivement des services de gestion discrétionnaire avec un nombre limité de fonds, ce qui nous permet de réduire au minimum la charge administrative, explique Thomas Vanderlinden. De plus, nous investissons toujours aux côtés de nos clients, ce qui permet de faire coïncider nos intérêts. »
Certains acteurs ont préféré ne pas donner de chiffres. Doit-on mettre cette attitude sur le compte d’une certaine nervosité liée à une possible vague de consolidation? Ce n’est pas clair. Parmi les acteurs de taille moyenne comme Edmond de Rothschild, Indosuez (Crédit Agricole), Merit Capital, Van de Put & Co et Treetop Asset Management, on compte grosso modo plusieurs milliers de clients pour un actif total de plus de 10 milliards d’euros.
De nombreux acteurs sont très discrets quant à la présence de citoyens extrêmement riches parmi leurs clients, car ces informations sont considérées comme sensibles en matière de concurrence. Nous avons également enquêté sur les patrimoines de plus de 5 millions d’euros confiés aux banques privées et gestionnaires de patrimoine.
Ce petit club sélect ne représente en moyenne que 5% du nombre de clients, mais 30% des actifs sous gestion. Chez certains plus petits acteurs, ce ratio est encore plus extrême, avec de petits groupes de clients pouvant représenter plus de la moitié du total des AuM.
La contribution importante des plus riches explique aussi pourquoi ils sont littéralement chouchoutés par les banquiers qui leur proposent de plus en plus de services exclusifs de type Wealth Management.
Source : lecho.be