UBS a relancé son offensive américaine en octobre dernier. Mais elle n’est pas seule à vouloir remettre la main sur le marché qui compte le plus grand nombre de millionnaires au monde.
C’est UBS qui a relancé l’offensive. La banque fait son grand retour auprès des clients américains. Dix ans après la fin du secret bancaire, neuf ans après avoir scellé son différend avec les autorités américaines qui l’avait conduite à débourser 780 millions de dollars d’amende et des années après avoir éjecté parfois sans ménagement cette clientèle devenue dangereuse. Fin octobre, lors de sa présentation aux investisseurs, Sergio Ermotti a annoncé son intention ferme de grandir sur le marché américain.
Pourquoi se priver? De fait, l’Amérique du Nord reste le plus grand marché de la gestion de fortune et devrait croître de 6% au moins par année, assure UBS, qui vise avant tout les Américains qui détiennent au moins 100 millions de dollars. A la fin du troisième trimestre, UBS comptait 1282 milliards sous gestion pour la région «Amériques» dans son ensemble et 6910 conseillers à la clientèle. Elle estime qu’elle peut encore capter 100 milliards d’actifs aux Etats-Unis, dont 70% à un horizon de trois ans.
Retour depuis 2016
Si UBS est relativement seule parmi les acteurs suisses à vouloir conquérir ces clients sur leur propre territoire, des dizaines d’autres continuent de vouloir les séduire via des structures spécialisées, basées à Genève ou Zurich. Ces entités doivent être enregistrées auprès du régulateur financier américain, la SEC. Il en existe une soixantaine, selon le site Where Americans Are Welcome. Lancé par Anne Liebgott il y a quatre ans, cet annuaire avait pour but de renseigner les Américains désireux de faire gérer leur argent par une banque suisse pour autant qu’elle soit d’accord pour les accueillir. Car, dans le sillage de la fin du secret bancaire, de la chasse aux fraudeurs du fisc, de l’accord Fatca et de complications réglementaires, un grand nombre de banques ont préféré se débarrasser de tout client ayant un lien, même ténu, avec les Etats-Unis.
«Certaines banques ont uniquement créé de telles structures pour pouvoir garder des clients américains qu’elles avaient déjà, mais d’autres cherchent réellement à s’étendre», explique-t-elle. De fait, le regain d’intérêt s’est accéléré depuis 2016, date de la fin du programme de régularisation de la clientèle américaine lancé par Washington à l’été 2013. Ce programme a obligé les banques suisses à dévoiler le nombre de clients américains qu’elles servaient et à payer des amendes proportionnelles au montant de leurs avoirs. La loi Fatca, promulguée en 2010, a aussi eu un effet sur le «marché» des clients américains. Ce texte exige des banques étrangères qu’elles communiquent au gouvernement américain des informations sur des comptes détenus par des Américains. Avec la conséquence inattendue que le nombre d’«US persons» résidant en dehors des Etats-Unis s’est révélé plus élevé que prévu, à plus de 8 millions. Soit près de 3 millions de nouveaux clients américains, qui ont besoin de services bancaires.
Pictet leader
Dans la gestion de fortune, Pictet se positionne parmi les leaders. Sa structure, Pictet North America Advisors (PNAA), gère 6,2 milliards de dollars et compte 18 employés à Genève et Zurich. Celle d’UBS emploie une soixantaine de personnes et gère quelque 5 milliards de francs. Vontobel Swiss Wealth Advisors gère 2,4 milliards de dollars depuis Zurich, Genève et New York, où le groupe compte près de 80 employés, actifs également dans l’asset management et le courtage.
Avec six employés dans la gestion de fortune privée à New York, l’activité est essentiellement menée depuis la Suisse. Un handicap pour être proche des résidents américains? Zeno Staub ne le pense pas: «La qualité suisse est une dimension importante du service», expliquait le patron de Vontobel lors d’une récente rencontre avec des journalistes romands. La banque zurichoise va reprendre la clientèle résidant aux Etats-Unis de Lombard Odier, qui a décidé de se retirer de ce marché. Il s’agit d’environ 600 millions de francs dans la gestion de fortune, et d’un montant similaire dans le courtage, deux activités qui nécessitent des licences différentes.
Concurrence rude
Grand marché, grandes opportunités, mais vive concurrence aussi. Greg O’Gara, spécialiste de la gestion de fortune chez Aite Group, une société de recherche américaine, n’est pas très optimiste dans les capacités des acteurs suisses à s’octroyer une partie substantielle de ce marché de 55 000 milliards de dollars. Même UBS, estime-t-il, doit se battre avec des marques bien mieux établies aux Etats-Unis et qui sont tout aussi spécialistes de la gestion de fortune. Face à ces acteurs et d’autres nouveaux entrants qui se sont annoncés ces dernières années, la concurrence sera rude.
« Les clients américains envisagent toujours plus de placer leur argent de façon globale et de le déposer dans d’autres juridictions que les Etats-Unis. »
Anne Liebgott, créatrice du site «Where Americans Are Welcome»
Pour beaucoup, les Etats-Unis resteront un marché de niche: la plupart de ces structures n’ont qu’une poignée d’employés et ne savent pas forcément où commencer pour recruter des clients, reprend Anne Liebgott, de Where Americans Are Welcome. Cela ne l’empêche pas d’être optimiste sur les perspectives: «Les clients américains envisagent toujours plus de placer leur argent de façon globale et de le déposer dans d’autres juridictions que les Etats-Unis.»
Bourses peu favorables
Même si, précisément en ce moment, les arguments faiblissent: les marchés américains ont été beaucoup plus performants que les bourses européennes ou émergentes ces dernières années. «Dans ces conditions, il est plus difficile de vendre le thème de la diversification aux clients américains», observe un spécialiste de ce marché, qui préfère rester anonyme. Difficile aussi de se battre sur le territoire américain contre les grandes banques ou les grands courtiers américains avec leurs frais largement inférieurs à ce qui se pratique en Suisse.
Pour se distinguer, les gérants suisses doivent donc proposer des investissements de niche, explique Benoît Barbereau, qui supervise notamment la structure SEC de l’UBP (près de 700 millions de dollars sous gestion): «Nous vendons la «Swissness» aux clients américains, en leur conseillant de diversifier leurs avoirs vers une place financière stable, en francs suisses ou en euros, en investissant par exemple dans de petites et moyennes capitalisations suisses ou allemandes. Des sociétés dans lesquelles un résident américain aura du mal à investir depuis son pays.»
Etats-Unis rayés de la carte
Yann Rousset a créé une structure SEC à Genève en octobre 2009, dans un premier temps pour récupérer les «US persons» dont les banques suisses se débarrassaient. «Par la suite, la croissance est surtout venue de familles internationales, qui ne résident pas forcément aux Etats-Unis, mais qui ont des liens avec ce pays, de par leurs activités professionnelles ou parce que leurs enfants vont y étudier ou vivre», détaille le directeur de Pilotage, une société de gestion indépendante. Ces clients n’ont pas seulement besoin de services de gestion, mais aussi de conseil sur la gouvernance familiale, par exemple pour déterminer les conséquences de leurs activités sous un angle américain.
Pour certaines banques pourtant, les Etats-Unis sont définitivement rayés de la carte de la gestion de fortune mondiale. Credit Suisse ne fait plus de gestion de fortune aux Etats-Unis et a liquidé sa structure dédiée aux clients de ce pays. En outre, les résidents américains ont aussi fait les frais des larges révisions des marchés considérés comme prioritaires opérées par les banques depuis 2008. Ça a été le cas de Julius Baer et de Lombard Odier, par exemple.
Des conditions strictes
Une banque ou une société suisse peut gérer des clients américains mais doit répondre à des critères stricts. Elle doit créer une entité et l’enregistrer auprès de la SEC, le gendarme des marchés américains.
Cette dernière surveille directement les entités dédiées à la clientèle américaine. Où qu’elles se trouvent et comme si elles étaient basées sur le territoire américain, explique le directeur d’une banque suisse, qui précise que la SEC envoie régulièrement des collaborateurs en Suisse. Ce qui explique aussi que les entités enregistrées auprès de la SEC sont physiquement séparées des banques suisses auxquelles elles appartiennent. Ainsi, par exemple, «bien que faisant partie du groupe Pictet, PNAA a des bureaux et des équipes séparés de la banque», rappelle un porte-parole de la banque genevoise.
Coûts d’acquisition plus élevés
Une structure SEC doit aussi être indépendante de la gestion effectuée par la banque qui la possède. Elle ne doit pas utiliser uniquement la recherche ou les services de son propriétaire, par exemple, mais peut pratiquer l’architecture ouverte, c’est-à-dire offrir des produits d’autres banques ou sociétés. En outre, ajoute Anne Liebgott, ces entités ne peuvent pas publier leurs performances, à moins de le faire depuis leur création.
Les coûts d’acquisition d’un client sont plus élevés depuis la Suisse. Un gestionnaire basé à Genève ou Zurich doit régulièrement traverser l’Atlantique pour rencontrer des clients potentiels ou existants. Les vols sont longs, les séjours à New York ou Los Angeles relativement coûteux.
Enfin, il existe des restrictions de gestion. Il n’y a pas d’interdiction réglementaire mais, dans les faits, certains produits ne peuvent pas être proposés à des Américains. La plupart des fonds européens UCITS ne peuvent pas être distribués aux Etats-Unis, souvent parce que les gérants veulent s’éviter les contraintes supplémentaires liées à la clientèle américaine.
Source : « letemps.ch »