École hôtelière, la meilleure école du client
Les nouveaux secteurs haut de gamme qui s’intéressent de près aux diplômés de l’hôtellerie. Soft skills obligent.
Expliquer que l’hôtellerie-restauration mène à tout aurait, il y a quelques années, fait bondir les interlocuteurs, tant ces métiers de services souffrent depuis toujours d’une piteuse image. Pourtant, du service à table à celui de clients VIP dans une banque privée, nombre de points communs existent, valorisés depuis une dizaine d’années par les grandes écoles hôtelières, dont certaines – surtout en Suisse – n’hésitent plus à se qualifier de business schools du luxe.
Arguments et atouts auxquels plusieurs secteurs sont devenus particulièrement sensibles. Joaillerie, haute couture, compagnies aériennes ou, plus surprenant, institutions financières, se pressent pour recruter des diplômés de l’hospitality management. Ce qu’elles y cherchent ? Une attitude, un savoir-être, leur connaissance des langues et des cultures, leur rigueur… Sans oublier surtout ce sixième sens propre aux hôteliers : le goût de l’expérience client.
Tourisme international en forte croissance (+ 6 % en 2018), création de groupes hôteliers tentaculaires, mode gastronomique, transition numérique avec son lot de nouveaux métiers à intégrer dans les établissements… L’hôtellerie et la restauration ont de vastes besoins de personnel qualifié et se livrent d’ailleurs une bataille féroce pour recruter leurs managers. Comme si cela ne suffisait pas, Ritz et autres Four Season’s doivent désormais faire face à d’autres concurrents. Des entreprises de cultures fort différentes – maisons de luxe, banques privées, compagnies aériennes… – s’intéressent de près aux jeunes diplômés des écoles hôtelières.
Marginal ? Insignifiant ? Dans les grandes écoles françaises, la part de diplômés qui travailleront dans d’autres secteurs que l’hôtellerie ne fait que grimper : “Il y a dix ans, presque tous nos diplômés faisaient leur carrière dans le secteur. Il y a cinq ans, ils étaient 90 %. Aujourd’hui, 80 %”, note Véronique Hasselweiler, directrice de la communication de Vatel. Un diplômé sur cinq échappe donc aux hôtels et restaurants français, pourtant en recherche constante de managers. Mais l’affaire ne s’arrête pas là car en Suisse, l’autre pays de l’hôtellerie, ils sont déjà plus de… un sur deux.
Suisse et France : deux stratégies distinctes
Si la tendance est la même, il convient de distinguer deux modèles de formation bien différents entre France et Suisse. Trois à quatre fois plus chères que leurs consœurs, les écoles suisses ont depuis longtemps compris la nécessité d’offrir à leurs étudiants d’autres trajectoires professionnelles que celles de l’hôtellerie. Avec deux impératifs : d’une part, trouver une carrière qui permette de rentabiliser une formation facturée autour de 40 000 euros par an, et élargir leurs viviers de candidats, en attirant certains profils que l’hôtellerie ne fait pas rêver, d’autre part.
“Nos diplômés peuvent s’adapter à tous les secteurs où l’expérience client est fondamentale”
“Nos diplômés peuvent s’adapter à tous les secteurs où l’expérience client est fondamentale”, explique Benoît Samson, directeur de la communication de Swiss Education Group, qui réunit cinq écoles et 7 000 étudiants sur sept campus en Suisse. D’où la multiplication des partenariats avec des filières de plus en plus diverses. Certaines industries connexes n’étonneront pas (booking.com et autres services de réservation, organisateurs de croisières) quand d’autres sont plus audacieuses : “Nous avons noué un partenariat avec la banque UBS, pour nos étudiants souhaitant se spécialiser en finance. Un autre avec Tesla, pour tout ce qui touche à la green economy et au bien-être.”
Ces liens entre le groupe d’écoles et les éventuels employeurs sont de plusieurs natures : cours dispensés par des cadres de ces entreprises, études de cas proposées aux étudiants, stages, embauches… “Avant, 100 % des entreprises participant à nos forums de recrutement étaient hôtelières, explique Benoît Samson. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 70 %.” Une proportion qui serait encore moindre si Swiss Education Group ne tenait pas à donner la priorité aux acteurs de sa filière historique.
En France, les passerelles se créent
Pour des raisons culturelles, historiques et financières (elles coûtent trois à quatre fois moins cher que leurs rivales suisses), les formations d’hospitality management françaises s’éloignent moins de leur cœur de métier. On ne trouve donc pas – ou pas encore – d’anciens de Ferrandi ou de Vatel dans la banque ou la finance. Mais d’autres secteurs s’intéressent de près aux étudiants du management hôtelier. Dans l’Hexagone, le premier concurrent des hôteliers est le luxe, suivi par l’événementiel. Exemple de carrières : une jeune diplômée, spécialisée dans l’organisation d’événements, est devenue chargée d’organisation au sein de l’UEFA. “Une autre a trouvé sa place dans un grand cabinet d’avocats d’affaires parisien, où elle est en quelque sorte le chef d’orchestre de la logistique”, illustre Véronique Hasselweiler. Si tous les étudiants de Vatel à travers le monde bénéficient d’un important socle commun, onze spécialisations leur permettent de colorer leur profil au niveau master : Revenue management, Sales and E-Marketing, Events Management… Et donc de prétendre des postes plus variés.
“Dans l’Hexagone, le premier concurrent des hôteliers est le luxe, suivi par l’événementiel”
Il y a aussi ceux qui changent de trajectoire en cours de carrière, comme l’a fait Jean-Philippe Pelou Daniel. Diplômé de Vatel en 1990, il se consacre pleinement à son domaine, dirigeant plusieurs complexes hôteliers, chez Vivendi puis chez Accor, avant d’être approché par Unibail-Rodamco pour diriger un vaste centre commercial, puis un autre. Depuis 2010, il est directeur général du centre commercial de la Part-Dieu, à Lyon, plus grand centre commercial d’Europe en zone urbaine.
Haro sur les soft skills
Comment expliquer ce succès, relativement nouveau, des diplômés de l’hôtellerie auprès des recruteurs ? La réponse tient en deux mots : soft skills. Ces capacités d’écoute et d’empathie, de savoir-être et de souplesse managériale, sont devenues en quelques années le critère prioritaire des DRH. “Tout ce qui est technique peut s’apprendre au fil d’une carrière. Mais le savoir-être que nos étudiants acquièrent au fil de leurs études est ancré en eux pour la vie”, explique le directeur de la communication de Swiss Education Group. L’expert spécialisé a moins la cote ; les entreprises se disputent désormais les candidats jouissant de ces fameuses qualités comportementales. Un domaine dans lequel les écoles hôtelières excellent, naturellement.
“Ces capacités d’écoute et d’empathie, de savoir-être et de souplesse managériale, sont devenues en quelques années le critère prioritaire des DRH”
“Ce que les entreprises viennent chercher chez nos étudiants, c’est avant tout une attitude”, confirme Nicoletta Giusti, qui, après une carrière de vingt ans dans le luxe, dirige depuis la rentrée un nouveau master à Glion Institute of Higher Education (école du groupe Sommet Education, qui regroupe Glion, Les Roches et, plus récemment, Ducasse Education). Intitulé de ce programme : Management du luxe et de l’expérience client. “Le luxe à l’européenne, le sens du service… Tous ces éléments sont dans l’ADN de Glion. Quant au secteur du luxe, il s’intéresse beaucoup aux profils hôteliers. Coupler le meilleur de ces deux expériences nous a semblé une évidence”, explique Nicoletta Giusti.
La motivation et l’engagement de ces étudiants pour travailler en équipe n’est pas à prouver, les écoles les plongeant souvent, dès le premier jour, dans des groupes, brigades ou équipes pour affûter leurs qualités de manager.
Le client est ROI
Mais l’atout maître des formations hôtelières est sans doute de graver profondément dans l’esprit de leurs étudiants ce mantra qui ne se démentira jamais : le client est roi. Une priorité donnée à la satisfaction de ce dernier qui devient d’autant plus essentielle quand l’exigence de la clientèle, son niveau social et le prix des produits s’élèvent. “Ce que beaucoup d’entreprises recherchent, c’est notre habitude d’interagir confortablement avec tous types d’interlocuteurs, y compris milliardaires. D’avoir cette culture qui vous permet d’être à l’aise en toutes circonstances et de mettre les clients à l’aise”, estime Kristof Kadar. Formé à la Swiss Hotels Management School (groupe SEG), ce jeune diplômé a débuté sa carrière dans l’hôtellerie, avant de rejoindre le luxe.
“Ce que beaucoup d’entreprises recherchent, c’est notre habitude d’interagir confortablement avec tous types d’interlocuteurs, y compris milliardaires”
Il est aujourd’hui Relationship Ambassador pour le groupe Richemont, un poste qui comprend une forte dimension de vente et de business development. Ce que lui apporte sa formation hôtelière ? “C’est une expérience qui vous forge, en tant que professionnel et en tant qu’humain. Sa pédagogie vous force à toujours réfléchir du point de vue du client, dont la satisfaction est votre priorité absolue”, analyse Kristof Kadar. Une culture du client-roi qui aurait selon lui des incidences bien concrètes. “Si une demande émane d’un client un vendredi en fin d’après-midi, une personne formée en hôtellerie préférera toujours faire une heure supplémentaire pour y répondre. Attendre le lundi ne lui viendra pas à l’esprit !”
Créateurs d’expérience
À l’heure des achats en ligne, l’expérience physique d’un client se fait plus rare, et doit se transformer en une véritable expérience de marque. Chaque partie de l’entreprise (accueil, point de vente, voire usine) doit lui inspirer confiance ou le faire voyager, selon le positionnement choisi. “Quand vous vendez une chambre à dix mille euros la nuit, vous ne vendez pas une chambre, mais une expérience totale”, résume Benoît Samson. Ce qui symbolise le “plus” que peut constituer un profil hôtelier pour vendre d’autres types de produits ou de services. À moindre échelle, “le simple fait de savoir servir un verre d’eau à un client est une différence qui compte”, illustre Nicoletta Giusti.
“Quand vous vendez une chambre à dix mille euros la nuit, vous ne vendez pas une chambre, mais une expérience totale”
C’est à ce titre que l’horlogerie s’est intéressée au profil de Valentin Trémaud, en venant recruter sur le campus de Glion. “Comment accueillir les clients du monde entier dans notre manufacture et rendre cette visite différente de toutes les autres” : voilà son challenge pour Roger Dubuis, horloger de prestige, appartenant également au groupe Richemont. Et s’il n’a jamais vraiment travaillé dans l’hôtellerie, à l’exception de ses stages, le jeune Guest Experience Manager n’a pas pour autant un parcours atypique. “En sortant du lycée, je souhaitais obtenir un diplôme le plus large possible, qui me permettrait de travailler dans différents secteurs ou de me lancer dans l’entrepreneuriat”, se souvient Valentin Trémaud. Il balance entre une business school classique ou Glion, qui lui offre également un champ large et, surtout, lui paraît être synonyme de dynamisme et de mobilité internationale.
Un profond mélange de cultures
Vatel, Ferrandi, L’école hôtelière de Lausanne, Les Roches et consorts sont connus des restaurateurs et hôteliers du monde entier. Leur attractivité auprès des étudiants de toutes cultures est donc forte et, au chapitre international, leurs campus n’ont rien à envier à ceux des plus prestigieuses business schools. Mieux encore : le mélange des cultures s’opérerait dans ces écoles mieux qu’ailleurs, les étudiants chinois, européens ou américains étant bien souvent amenés à vivre ensemble en colocation, porter le même uniforme ou subir des coups de feu de cuisine au sein de la même brigade. Des expériences qui rapprochent, sans compter les travaux de groupe dans des matières plus traditionnelles, comme le marketing. “Croiser des personnes de cultures différentes n’est pas la même chose qu’habiter avec eux. On se confronte alors vraiment à une autre manière de vivre et de penser”, juge Valentin Trémaud.
Une connaissance qui intéresse bien des recruteurs, en particulier dans les maisons de luxe, pour lesquelles l’Asie est devenue l’enjeu stratégique majeur. À l’heure de recevoir de potentiels clients coréens ou chinois, le Guest Experience Manager de Roger Dubuis saura mieux que quiconque quel ton donner à la visite de la manufacture, quelles activités proposer, ou quelle table de Genève saura le mieux les combler. Un métier à cheval entre le développement commercial, le marketing, et ce quelque chose en plus, qu’on n’acquiert nulle part ailleurs que dans l’hôtellerie.
“Le mélange des cultures s’opérerait dans ces écoles mieux qu’ailleurs, les étudiants chinois, européens ou américains étant bien souvent amenés à vivre ensemble en colocation, porter le même uniforme ou subir des coups de feu de cuisine au sein de la même brigade”
Et puis, il y a les langues. Au moins trois, dans toutes les grandes écoles. “Les recruteurs savent qu’ils trouveront chez nos étudiants des professionnels qui maîtrisent et utilisent à un niveau professionnel les langues étrangères”, souligne Benoît Samson, dont le groupe, SEG, accueille plus de 120 nationalités. Critère quasi unique (avec la motivation) de sélection des candidats, les langues s’imposent vite dans les cours, les allées, les chambres. “Chacun dans l’hôtellerie réalise l’importance de parler plusieurs langues, personne n’a l’ombre d’un doute à ce sujet”, confirme Kristof Kadar, d’origine hongroise, dans un français impeccable.
Écoles hôtelières vs business schools : un match ?
Une compétition entre business schools et écoles hôtelières pourrait surprendre. Mais de fait, en plus des soft skills déjà évoquées, plusieurs éléments viennent troubler la frontière traditionnelle entre les deux types d’écoles.
D’abord, la taille des entreprises. Ces dernières années, l’hôtellerie a accouché de monstres, nés de fusions entre des groupes tentaculaires. Ainsi, le rachat de Marriott par Starwood pour 12 milliards de dollars place ce dernier à la tête de plus d’un million de chambres ! À la tête de ce type de complexes, la direction doit combiner expertise hôtelière et stratégie financière, connaissance en fusion-acquisition… Résultat : les écoles – en particulier suisses et américaines, qui ont investi le terrain de la finance très tôt – sont amenées à enseigner les mêmes matières qu’en business schools, avec parfois les mêmes professeurs. Un champ que pénètrent beaucoup moins, pour le moment, les écoles françaises.
“Profils de business schools ou de management hôtelier ne sont en concurrence que sur des secteurs déterminés, tous estampillés “haut de gamme.””
Il y a ensuite la petite révolution créée par Airbnb, l’ensemble des services de réservation en ligne, et plus généralement la digitalisation. “Le digital impacte l’hôtellerie de manière profonde, avec de nouveaux métiers et de nouvelles compétences à intégrer”, explique la directrice de la communication de Vatel. Et pour sourcer de jeunes diplômés maîtrisant les techniques de marketing digital, un recruteur aura le choix entre un profil issu d’une école spécialisée dans le web, d’une école de management… ou d’une école hôtelière.
Si match il y a, les terrains d’affrontement demeurent limités. Profils de business schools ou de management hôtelier ne sont en concurrence que sur des secteurs déterminés, tous estampillés “haut de gamme.” Mais pour l’hôtellerie-restauration, qui a besoin de produire toujours plus de cadres qualifiés pour accompagner un tourisme en plein boom, la menace sur les talents est déjà bien réelle. Victimes du succès des écoles chez lesquelles elles viennent chercher leurs cadres depuis toujours, hôtels, spas et restaurants doivent plus que jamais courtiser ces jeunes gens pleins de rigueur et de bonnes manières, et veiller à ce que maisons de luxe, bateaux de croisières, et donc, désormais, banques privées, ne les approchent de trop près.
Nicolas Chalon – Nouvel Economiste
Source : lenouveleconomiste.fr
« Beaucoup pourront être surpris ! La formation d’un candidat est souvent regardée à la loupe, tout comme les compétences professionnelles acquises au cours de celle-ci… Est-ce bien le plus important ?!
De manière très personnelle, ce n’est pas ma priorité lors de la découverte d’un candidat. Bien au-delà des compétences acquises, je m’attache à comprendre ce qui l’anime : découvrir sa personnalité, sa vision des choses, et son savoir-être. Ceci est fondamental avant d’approfondir les autres points ! Très clairement, je considère qu’une personne avec la tête bien faite, investie et orientée client doit réussir dans quasiment tous les domaines où la relation client est prépondérante. Voilà pourquoi je comprends aisément qu’en complément de l’éducation reçue, la formation pointue de l’école hôtelière soit très recherchée par les DRH y compris dans l’univers de la banque et de la finance. En effet, au-delà du contenu qui s’est très largement étoffé notamment en finance, celle-ci place le client au centre de ses préoccupations. L’essentiel est là ! Ne soyez donc pas surpris qu’après une formation hôtelière vous soyez chassé pour débuter une carrière en banque privée ? !!! »
Antoine Aliotti