Le travail à distance a de nombreuses implications pour les gérants d’actifs. Outre les questions qui se posent sur le plan organisationnel, il faut tenir compte des aspects légaux et de ceux liés à la protection des données. Gérants, avocats et représentants de la branche partagent leur expérience
En l’espace d’un week-end, des milliers d’entreprises en Suisse ont dû adopter le télétravail comme nouveau mode de fonctionnement en mars dernier. Alors que la situation tend à se détériorer de nouveau sur le plan sanitaire, beaucoup d’entreprises hésitent entre travail présentiel et à distance. Le secteur de la gestion d’actifs et de fonds n’échappe pas à ces interrogations. Quels sont les enseignements qui peuvent être tirés aujourd’hui de l’expérience acquise ce printemps en matière de télétravail, que ce soit sur le plan organisationnel, dans les relations avec la clientèle et vis-à-vis des autorités de supervision?
Point souligné par les intervenants, la continuité des opérations a toujours pu être assurée ce printemps. Directeur de Gérifonds, Christian Carron explique que la société vaudoise spécialisée dans l’administration et la direction de fonds a été constamment en mesure de maintenir son fonctionnement. «La majorité de nos clients institutionnels n’ont jamais cessé de fonctionner, les bourses étaient ouvertes et nous avons toujours pu être en contact avec les autorités de régulation. Il n’y avait donc aucune raison d’arrêter quoi que ce soit et nous n’avions de toute manière pas le choix», explique-t-il, la publication quotidienne des valeurs nettes d’inventaire (VNI) est une obligation à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire.
Même observation du côté de la société genevoise Fundana. Hormis certaines difficultés initiales d’ordre technique comme le choix d’une plateforme pour les vidéoconférences, la société spécialisée dans les placements alternatifs a bénéficié de plusieurs facteurs qui lui ont facilité la tâche en mars, comme l’explique Cédric Kohler, responsable advisory. Notamment le fait que la société disposait déjà d’un «plan de continuité». En vingt-quatre heures, Fundana a ainsi pu assurer un fonctionnement normal de l’ensemble de ses activités sans prendre de retard.
Pour Christian Carron, le fait qu’une partie du personnel de Gérifonds travaillait déjà à distance a aussi contribué au bon fonctionnement des opérations. «Notre propre solution de télétravail avait déjà été mise en place et faisait déjà partie de notre plan de continuité», relate-t-il. Beaucoup de collaborateurs disposaient d’ordinateurs portables qu’ils pouvaient emporter à la maison si nécessaire, le tout avec une connexion VPN sécurisée.
La loi sur la protection des données s’applique – télétravail ou non
La sécurité, justement, n’est-elle pas le principal point d’achoppement qui retient les entreprises d’adopter plus largement le télétravail? A ce sujet, Christian Carron fait la distinction entre, d’un côté, les activités telles que la gestion d’actifs ou l’administration de fonds, comme chez Gérifonds, et, de l’autre, celles de gestion de fortune qui doivent préserver une sécurité absolue des données. «Dans notre domaine d’activité, tout est transparent car toutes les informations et les données que nous traitons sont destinées à être publiées. Pour nous, la priorité est surtout d’éviter des attaques informatiques susceptibles de déstabiliser nos systèmes», souligne-t-il.
Que le personnel d’une société travaille à distance ou dans ses locaux, les entreprises demeurent responsables des éventuels dommages causés à des tiers, suite à des vols ou des pertes de données, souligne Stéphanie Chuffart-Finsterwald, avocate chez Sigma legal à Genève. L’avocate, spécialisée notamment en droit de la propriété intellectuelle, de la protection des données et de la sphère privée, a accompagné plusieurs clients dans des dossiers en lien avec le télétravail. Quel que soit le contexte, «la loi sur la protection des données s’applique, en télétravail ou non», rappelle-t-elle. En cas de non-respect des règles de protection des données ou de confidentialité, qu’est-ce qui relève de la responsabilité des employeurs et de celle des employés? «L’employeur est responsable de la mise en place des directives appropriées pour protéger les données personnelles et confidentielles», décrit-elle. C’est donc à lui de démontrer qu’il a mis en place toutes les mesures nécessaires pour éviter des attaques informatiques ou des fuites de données. Il en va de même du choix des outils de communication utilisés par les collaborateurs pour échanger entre eux ou avec des clients.
Le type de données définit le niveau de protection
Les données doivent-elles être protégées différemment dans certains domaines spécifiques, comme le secteur médical, la banque ou la gestion d’actifs, plutôt que dans des activités plus générales comme le commerce en ligne? Juridiquement, il sied de distinguer les obligations réglementaires et spécifiques aux branches de la protection des données personnelles, rappelle Stéphanie Chuffart-Finsterwald. Certaines industries sont soumises à des obligations réglementaires spécifiques, par exemple le secteur bancaire. «En ce qui concerne la protection des données, c’est le type de données qui définit le niveau de protection et d’exigence», souligne l’avocate. On fait notamment la distinction entre, d’un côté, les données classiques, comme les fichiers d’adresses, et, de l’autre, les données sensibles, à l’exemple de celles concernant la santé, la sphère intime, l’appartenance religieuse ou encore des poursuites ou sanctions pénales et administratives. «Il y a ainsi plusieurs couches de protection différentes qui s’ajoutent les unes aux autres», résume Stéphanie Chuffart-Finsterwald.
« Depuis cette série d’entretiens Gérifonds et le gérant d’actifs Fundana ont redéployés leur plan de contingence maximale et l’essentiel de leurs collaborateurs sont en télétravail. »
Les plans de continuité doivent être mis à jour
La pandémie de Covid-19 a aussi rappelé qu’il était nécessaire de mettre à jour continuellement les plans de continuité. Ce qui est une obligation légale pour les directions de fonds, précise Christian Carron chez Gérifonds. Il s’agit notamment de pouvoir garantir la sécurité des accès à distance via des connexions sécurisées mais aussi le fait d’avoir à disposition le matériel nomade, afin de s’assurer que les employés puissent disposer immédiatement d’un environnement de travail de même qualité s’ils doivent d’un coup travailler à domicile.
L’Asset Management Association Switzerland, l’association des professionnels de la gestion d’actifs en Suisse, n’émet pas de recommandations au sujet du télétravail mais elle rappelle que les instances réglementaires, notamment la Finma, prescrivent certaines règles: «La gestion des risques opérationnels, y compris celle en matière de plan de continuité des opérations, doit être documentée dans le règlement de l’entreprise. Ces aspects sont régulièrement vérifiés», précise Markus Fuchs, son directeur.
Bons et mauvais côtés du télétravail
Après le semi-confinement, pratiquement tous les employés étaient revenus travailler dans les bureaux de Gérifonds, constate Christian Carron. «Beaucoup d’employés ont voulu revenir car ils ont aussi pu se rendre compte, au fil des semaines, quels étaient les bons et les mauvais côtés du télétravail», analyse-t-il. Selon lui, l’expérience menée durant la période de semi-confinement a montré que le télétravail n’a certes pas péjoré la productivité, mais que la communication est, elle, souvent plus difficile lorsque l’on travaille à distance.
Le travail présentiel restera-t-il nécessaire à l’avenir? Oui, pour certains aspects, estime Cédric Kohler chez Fundana. «Faire des réunions en présentiel est important mais pas non plus toujours un prérequis», relativise-t-il. A cet égard, il estime que le semi-confinement en mars et avril a réellement marqué une césure. Avant, le fait de se déplacer auprès des clients était perçu comme une marque de considération. Après le semi-confinement, les choses ont changé: «Beaucoup de clients ont eux-mêmes estimé qu’il était tout à fait possible d’organiser certaines réunions à distance via des applications de vidéoconférence.»
Compléter le virtuel avec le réel
Néanmoins, «il y a un moment où les gens ont envie de vous voir et où il faut compléter le virtuel avec le réel. Les rencontres face à face permettent de faire la différence», estime Cédric Kohler. C’est un aspect qui importe en particulier lorsqu’il s’agit de nouer de nouveaux contacts. «Il est beaucoup plus facile d’organiser les choses à distance lorsque des contacts personnels existent déjà. Avec de nouveaux clients, c’est très difficile», admet-il. Etant donné que la pandémie de Covid-19 ne va pas disparaître du jour au lendemain, il sera nécessaire de développer de nouvelles manières de fonctionner au cours des prochains mois. Parmi les solutions envisageables, Cédric Kohler cite le retour du bouche-à-oreille en général, le fait de s’appuyer sur les recommandations de ses clients existants ou encore d’utiliser son réseau de manière plus active.
Pour Markus Fuchs, «l’importance de la gestuelle et des échanges personnels est difficile à quantifier mais elle pourrait jouer un rôle beaucoup plus important lorsqu’il s’agit de gagner de nouveaux clients que pour s’occuper de relations déjà existantes». Selon lui, on peut imaginer que le télétravail continuera d’être pratiqué, au moins en partie, dans la gestion d’actifs à l’avenir. S’il fonctionne bien au sein d’équipes établies, le travail à distance est par contre beaucoup moins idéal au sein de nouvelles équipes ou pour assurer l’intégration de nouveaux collaborateurs, estime-t-il.
Un plan qui peut être réactivé en quelques heures
Les incertitudes actuelles concernant l’évolution de la pandémie compliquent la tâche en matière de planification. «Lorsqu’il s’agit de conférences, il est toujours possible de les planifier car, au pire des cas, on peut encore les réorganiser sous forme de webinaire. Pour les événements où le networking est un des objectifs, c’est par contre beaucoup plus compliqué», juge Cédric Kohler. Pandémie de Covid-19 ou non, il faudra continuer à faire les choses de manière organisée mais en restant flexible. Il faudra apprendre à fonctionner «avec de la discipline mais avec des règles qui doivent tout de même s’adapter».
Si la situation sanitaire s’aggravait ces prochaines semaines, Gérifonds demanderait-elle à l’ensemble de son personnel de travailler de la maison? «A l’ensemble non, mais dans des cas particuliers ou si de nouvelles mesures étaient prises par les autorités, oui, il pourrait être envisageable de réactiver le télétravail immédiatement», souligne Christian Carron. A la différence de mars et avril, où les mesures tombaient jour après jour et quand la mise en place globale du plan de continuité s’était faite sur une dizaine de jours, «on pourrait aujourd’hui se passer de cette période intermédiaire et basculer en quelques heures», ajoute-t-il.
Au-delà de l’évolution de la situation sur le plan sanitaire, la question de l’équilibre entre travail présentiel ou à distance se pose dans toutes les entreprises.
Source: www.letemps.ch
« La situation sanitaire ne cesse de bousculer nos organisations. Elle vient perturber nos vieilles bonnes habitudes et nous pousse à sortir de notre zone de confort. Pour les entreprises qui veulent poursuivre leurs activités, de nombreuses réflexions doivent encore être menées. Souvent boudé, le télétravail est plus que jamais sur le devant de la scène. Malgré les craintes et les difficultés pour sa mise en place, les entreprises qui l’ont testé sont très agréablement surprises des résultats.
Pour les plus récalcitrants, pensez-y ! Quelques entités n’y pensaient même pas tant les difficultés paraissaient insurmontables. Et pourtant, certaines ont relevé le défi avec succès. Toutefois, il sera important de maintenir le juste équilibre entre travail en présentiel et à distance. N’ayez crainte, la pratique vous permettra d’adopter la meilleure option. »
Antoine ALIOTTI