Pictet va délocaliser une centaine de postes opérationnels d’ici à 2020. Si certains craignent que le mouvement ne prennent de l’ampleur, d’autres établissements assurent toutefois ne même pas réfléchir à cette éventualité
Il y a d’abord eu les délocalisations aux Philippines, en Inde ou en Pologne, d’une partie des activités opérationnelles des grandes banques. Puis, les plus petits établissements se sont mis à externaliser une partie ou la totalité de leurs back-offices auprès de sociétés spécialisées, comme B-Source ou la plateforme du Crédit Agricole. Sans oublier les vagues de licenciements qui ont frappé le secteur bancaire, et celui des opérations en particulier, depuis l’abandon du secret bancaire et la fonte des marges des établissements.
La semaine dernière on apprenait que Pictet, plus grande banque privée genevoise avec près de 3900 employés dans le monde dont environ 2200 à Genève, avait décidé de délocaliser une centaine de postes de travail liés au secteur des opérations d’ici à 2020. De Genève, cap pour Singapour, Hongkong et surtout le Luxembourg pour les dizaines d’employés concernés. Cette information, rapportée par l’Agefi, a été depuis confirmée par l’établissement.
A Genève, la nouvelle a marqué les esprits. Si la banque semble assurer que la logique de cette décision est de renforcer les services opérationnels sur les marchés en croissance et de se rapprocher de la clientèle, certains observateurs se montrent plus dubitatifs. Notamment parce que le backoffice n’a pas pour vocation d’être au contact direct des clients et parce que, en règle générale, peu importe sa localisation géographique. Selon eux, cette décision serait davantage liée à des considérations d’ordre économique.
Logique économique
Un proche de la banque souligne néanmoins qu’avec la fin du secret bancaire et le renforcement des exigences réglementaires, les banques suisses disposant de filiales ou succursales en Europe ont vu une part non-négligeable de leur clientèle européenne se replier vers ces centres. Et notamment vers le Luxembourg. «Il y a donc une logique opérationnelle à pouvoir bénéficier d’équipes sur place, notamment pour des questions réglementaires», explique-t-il. Il reconnaît toutefois qu’une logique économique peut également dicter une telle décision. «Si les collaborateurs ne seront pas forcément moins bien payés qu’en Suisse une fois délocalisés, ils seront toutefois rétribués en monnaie locale, souligne-t-il. Or cette possibilité pour la banque de diversifier ses coûts en termes de devises n’est évidemment pas une mauvaise chose lorsque l’on considère la cherté actuelle du franc.»
Pour Carlo Lombardini, avocat au barreau de Genève et professeur associé à l’Université de Lausanne, le choix de Pictet n’est que la conséquence d’une réalité qui fait de la Suisse le pays où les frais bancaires sont les plus élevés au monde. «Les banques font tout ce qu’elles peuvent pour tenter de réduire leurs coûts», explique-t-il. Outre le backoffice qui peut être délocalisé ou externalisé, il évoque également la baisse ou tout du moins le gel des salaires de ceux qui sont au contact de la clientèle et qui, par conséquent, ne peuvent pas être envoyés à l’étranger.
Selon l’avocat, Pictet aurait même fait preuve d’un certain «patriotisme» en délocalisant une partie de ses équipes plutôt qu’en externalisant ces tâches opérationnelles auprès de sociétés tierces comme ont pu le faire d’autres établissements. «Ils essaient de tout mettre en œuvre pour conserver leurs employés, souligne-t-il, ce qui est tout à leur honneur.»
Eviter les licenciements
Contactée, la banque l’assure elle-même: «Des solutions de mobilité interne seront proposées aux collaborateurs ne pouvant se déplacer. La volonté de Pictet n’est en effet pas de licencier.»
L’Association suisse des employés de banques (ASEB) n’a, pour l’heure, pas été contactée par des employés concernés. «Nous avons peu de membres au sein de cette banque qui ne compte, à ma connaissance, pas de commission du personnel», souligne Denise Chervet. La directrice de l’association assure toutefois qu’elle va rapidement prendre contact avec Pictet. «Dans l’intérêt des employés, l’ASEB va proposer ses services pour la procédure de consultation et la négociation d’un plan social, poursuit-elle. Car demander à un employé de changer de lieu de travail équivaut à un congé modification. Il faut donc qu’il y ait une procédure de consultation et qu’un plan social soit mis en place le cas échéant.»
Reste à savoir si d’autres établissements pourraient être amenés à en faire de même dans un proche avenir? «Il y a certainement eu d’autres mouvements de ce genre mais de moins grande ampleur si bien qu’ils ont fait moins de bruit, observe un connaisseur du marché préférant garder l’anonymat. Et ce dernier de prévenir qu’il y en aura probablement d’autres. Contacté la semaine dernière, Lombard Odier n’a pas répondu à nos messages. Quant à Mirabaud & Cie, ils assurent qu’aucune délocalisation n’est à l’ordre du jour.
«La situation dans laquelle les banques opèrent est difficile, concède une porte-parole de l’Association suisse des banquiers (ASB). L’économie dans les marchés cibles se développe faiblement, les banques luttent avec le franc fort et la situation avec l’Union européenne [ndlr, la Suisse espère pouvoir négocier un accord permettant de garantir l’accès aux marchés financiers pour les établissements suisses] n’est toujours pas résolue. Pour maintenir un ratio coûts/revenus raisonnable, les banques peuvent se voir forcées de délocaliser des effectifs vers d’autres destinations. Et cela au détriment de postes en Suisse», conclut-elle.
Ces dernières années, les banques suisses et genevoises en particulier ont eu tendance à engager davantage de collaborateurs à l’étranger qu’en Suisse. Et cela notamment pour se garantir un accès aux marchés européens. Comme le résumait Antonio Palma, associé de Mirabaud & Cie, dans une interview accordée au Temps il y a tout juste un an: «Si l’Europe ne vient pas à nous, c’est à nous d’aller à l’Europe.» Désormais donc, les établissements bancaires, obligés de faire des économies, pourraient être tentés de délocaliser une partie de leurs collaborateurs. Une mauvaise nouvelle pour le canton de Genève qui, selon les chiffres de la Fondation Genève Place Financière, a vu le nombre de collaborateurs travaillant dans une banque passer de 20 753 en 2012 à 18 855 en septembre dernier.