Yves Mirabaud. Le président de la fondation Genève Place Financières souligne aussi que la compétition entre les banques ne rend pas le marché de l’emploi plus tendu.

Créée en 1991, la Fondation Genève Place Financière a pour objectif de favoriser le développement et le rayonnement d’une place financière qui – selon les chiffres de cet organe faîtier – génère 35.600 emplois et contribue à hauteur de 12% du PIB genevois. Yves Mirabaud, président de cette fondation, a reçu l’Agefi pour un grand entretien.

Cette personnalité incontournable du monde bancaire suisse a une série d’autres casquettes, notamment la présidence de l’Association des banques privées Suisses et la présidence du conseil d’administration de Mirabaud & Cie. Néanmoins, durant cette interview, il s’exprime en sa qualité de président de la fondation Genève Place Financière.

Votre fondation représente des banques actives dans des domaines très différents. Quels sont les défi qui découlent de cette diversité?

Comme notre fondation a un rôle de promotion, le fait d’inclure non seulement une large palette de banques mais également d’autres entreprises actives dans la finance – fiduciaires, bureaux d’avocats, gérants indépendants, assurances, etc. – est un véritable atout.

La place financière genevoise est très forte dans certains domaines. Pour optimiser les synergies, serait-il avisé de renforcer d’autres secteurs comme la banque d’affaires?

La place financière genevoise est en effet très bien représentée dans la gestion de fortune privée et institutionnelle, la banque commerciale et de détail ainsi que le financement du négoce des matières premières. Concernant la banque d’affaires, il existe un lien fort avec la gestion de fortune privée. Nous avons toutefois à Genève des banques qui sont très actives dans la banque d’affaires mais plutôt dans d’autres villes comme Londres, New York ou Hong Kong.

A mon sens, la priorité est surtout de mieux tirer parti de nos forces dans la gestion de fortune institutionnelle: pour aller voir des spécialistes dans ce domaine, certains clients prennent plus facilement l’avion que le tram quand bien même nous bénéficions de compétences très pointues dans notre ville.

Genève déploie des efforts substantiels pour se positionner comme un centre dans le domaine de la blockchain, voire des Initial Coin Offering (ICO). Qu’en pensez-vous?

La blockchain est rentrée dans notre vie quotidienne. Cette nouvelle technologie est devenue incontournable, par exemple pour stocker et exploiter des données. Quant aux ICO, il reste encore trop d’incertitudes même si la FINMA est plus avancée dans ce domaine que d’autres autorités comparables à l’étranger. Pour cette raison, les banques demeurent réservées notamment en ce qui concerne la provenance des fonds.

Dans le secteur bancaire genevois, selon vos chiffres, le nombre d’employés est passé de 20.753 en 2012 à 18.341 en 2017. Comment voyez-vous le futur?

Etant donné la crise financière que nous avons vécue, il est remarquable que le nombre de demandeurs d’emploi dans le secteur bancaire à Genève soit resté stable aux alentours de 500 personnes. Il faut aussi souligner que les profils recherchés changent et que la demande devient de plus en plus forte pour des spécialistes de «compliance», gestion des risques et fintech. Finalement, concernant le futur nombre d’emplois total, je m’attends à ce qu’il reste stable.

Est-il correct d’affirmer qu’un certain nombre de petites banques étrangères sises à Genève font face à de grandes difficultés et seraient même à vendre?

Dans notre domaine, le phénomène de consolidation date de la deuxième guerre mondiale. Durant la dernière crise financière, cette tendance s’est accentuée avec l’acquisition d’un certain nombre de banques étrangères par des établissements suisses, ce qui a permis de sauvegarder de nombreux emplois sur place. Ce phénomène de consolidation va continuer mais je ne prévois pas d’accélération. Comme vous l’avez mentionné, il demeure sans doute certaines banques étrangères qui cherchent à être acquises, par exemple suite à des problèmes de taille ou de stratégie et, dans d’autres cas, il s’agit tout simplement du vœu de leurs actionnaires.

Les banques étrangères renforcent notre «cluster unique au monde»

Quelles places financières sont les plus redoutables concurrents de la place financière genevoise?

Je pense surtout aux places financières des pays émergents comment Singapour et Hong Kong mais il importe de souligner que des banques suisses sont présentes sur place et contribuent d’une manière significative à la force de ces places financières. En outre, les Etats-Unis continueront d’être une place forte. Concernant Londres, on verra ce qu’il en adviendra suite au Brexit.

Si un ministre chinois vous demandait de comparer les places financières de Genève et de Zürich, que lui répondriez-vous?

Ces deux centres sont complémentaires. Les activités de la place financière genevoise se caractérisent plutôt par la gestion privée, le financement du négoce et la finance durable, grâce aux synergies avec les Nations Unies.

Selon le classement des places financières publié en 2018 par le «Global Financial Centers Index», Genève a perdu dix rangs pour terminer à la 26e place. Quelle importance attribuez-vous à cet index?

Je suis très réservé quant à la précision de ces sondages réalisés en ligne et qui sont par ailleurs très volatiles. Quoi qu’il en soit, la place financière suisse reste la plus importante au monde avec une part de marché de 27,5% des actifs sous gestion transfrontalière, selon une étude du Boston Consulting Group.

Voyez-vous d’un bon œil l’arrivée de nouvelles banques étrangères y compris lorsque ces dernières font de la concurrence aux banques déjà établies?

L’arrivée de nouvelles banques étrangères est une bonne nouvelle pour la place financière genevoise. Cela renforce le centre de compétences, ce «cluster» unique au monde. La compétition entre les banques existe depuis toujours et, par conséquent, le fait d’avoir quelques nouveaux concurrents ne change pas fondamentalement la donne. Finalement, la compétition ne rend pas le marché de l’emploi plus tendu, notamment parce que cela fait longtemps que les banques ont compris que cela ne faisait pas de sens de pratiquer la surenchère salariale afin d’attirer les talents.

Que pensez-vous de la formation bancaire à Genève? Etes-vous inquiet parce qu’une partie de l’élite de la finance genevoise se forme ailleurs, par exemple à Saint Gall ou aux Etats-Unis?

Le plus important n’est pas le lieu où se forme l’élite mais la qualité et l’aspect pratique de la formation dispensée aux 35.000 collaboratrices et collaborateurs de la place financière genevoise. Dans ce sens, nos différents niveaux de formation (apprentissage, formation professionnelle et continue, université) sont excellents.

Je pense notamment à l’Institut Supérieur de Formation Bancaire (ISFB) et au Geneva Finance Research Institute (GFRI) de l’Université de Genève. Non seulement la collaboration entre le secteur privé et le monde académique est au beau fixe mais en plus la formation continue à l’intérieur des banques joue un rôle clé.

«Le Graal serait d’obtenir un accord sur les services financiers avec l’UE»

Dans le futur, quelles places pourraient prendre la fintech, la finance durable et la philanthropie?

Concernant la fintech, les banques n’ont pas attendu cette expression à la mode pour commencer à s’y intéresser. Néanmoins, certaines start-ups fintech peuvent aider les banques à accélérer leur développement informatique. Comme les start-ups fintech n’ont pas de clients et ne possèdent pas d’accès aux données, elles ont tout intérêt à collaborer avec les banques. Concernant la finance durable et la philanthropie, on constate un intérêt grandissant pour ces domaines mais ils sont inclus dans le développement naturel de nos activités de gestion de fortune.

Vous saluez volontiers l’engagement d’Ueli Maurer car ce dernier conduit fréquemment des délégations financières à l’étranger. Quels sont les principales valeurs ajoutées de ces délégations?

Je considère qu’il est très important de présenter la place financière suisse à l’étranger. D’ailleurs, des ministres d’autres pays – par exemple du Luxembourg ou de Singapour – n’hésitent à pas à le faire, y compris en Suisse.

Les banques sises dans l’Union européenne ont très largement accès au marché suisse. La réciprocité n’est toutefois pas accordée. Pensez-vous que cette anomalie sera bientôt corrigée?

A brève échéance, sûrement pas. Dans l’immédiat, nous prônons l’acceptation sans délai de l’accord cadre avec l’Union européenne. En outre, l’année prochaine, nous nous préparons à mener une campagne émotionnelle et difficile sur l’initiative de l’UDC contre la libre circulation des personnes. Cette initiative est en fait une démarche qui va à l’encontre des accords bilatéraux. A plus long terme, le Graal serait d’obtenir un accord sur les services financiers avec l’Union européenne.

Que pensez-vous de la Finma? Considérez-vous qu’elle devrait moins réguler?

Il est important que la Finma s’assure que les règles internationales soient appliquées avec rigueur en Suisse. Néanmoins, pour assurer la compétitivité internationale de la Suisse, nous ne souhaitons pas que la Finma pratique le Swiss finish. La Finma comprend aussi que «one size does not fit all» et a entamé une réflexion sur le principe de la proportionnalité pour alléger les contraintes qui pèsent sur les banques de catégorie quatre (ndlr: acteurs du marché de taille moyenne, risque moyen) et cinq (ndlr: petits acteurs du marché, risque faible) voire même trois (ndlr: acteurs du marché grands et complexes, risque significatif).

Concernant les lois fédérales sur les services financiers (LSFin) et les établissements financiers (LEFin), vous n’avez pas été initialement consulté. Manquez-vous de relais à Berne?

Cela n’est pas le cas. Lorsque les premières moutures de ces deux lois ont été rédigées vers 2010, les tensions entre la place financière suisse et l’administration fédérale étaient de notoriété publique. Dans une phase ultérieure, nous avons été impliqués et cela a permis l’élaboration de deux lois qui répondent à nos attentes.

Le secret bancaire a largement disparu. Pensez-vous que cela généré une augmentation de l’utilisation des trusts ou de l’achat de valeurs du type bijoux?

Je dirai plutôt que le secret bancaire fiscal a largement disparu car nous continuons et continuerons à observer la plus stricte confidentialité lors des contacts avec nos clients. Ce que nous observons, c’est un intérêt accru pour les investissements immobiliers mais, dans une large mesure, cela est dû à l’évolution des taux d’intérêts. Concernant les trusts, il s’agit d’un autre modèle qui est surtout utilisé par les Anglo-Saxons; en Suisse, je ne vois pas de changements en ce qui concerne le recours à ces structures.

En outre, je ne constate pas du tout un engouement pour l’achat de bijoux et nous ne le conseillerions certainement pas à nos clients.

En fait, la solution la plus simple pour évader le fisc consiste à ouvrir un compte aux Etats-Unis car FATCA exige la transparence d’une manière complètement unilatérale. A mon sens, l’OCDE et l’Union Européenne devraient faire pression sur les Etats-Unis pour corriger cette anomalie, même si je comprends bien qu’il soit plus aisé de s’en prendre à un petit pays comme la Suisse.

Selon Felix Wenger, Managing Partner de McKinsey en Suisse, les banques devraient externaliser beaucoup plus de fonctions, à l’instar de l’industrie automobile. Y souscrivez-vous?

Potentiellement, je pense qu’une externalisation plus poussée pourrait être bénéfique, en particulier pour les fonctions de back office. Concernant les relations avec nos clients, notre valeur ajoutée se trouve surtout dans les services personnalisés et les relations humaines de qualité et cela n’est donc pas comparable à une chaîne de production automobile.

Source : Agefi.com