Après six ans de crise, comment se portent les banques privées ? D’après la dernière étude du cabinet McKinsey, la majorité des acteurs affichent encore une rentabilité satisfaisante, mais ils doivent affronter des vents contraires. La collecte nette, qui atteignait de 6 % à 8 % par an avant la crise, serait de 1 % à 2 %. Plus inquiétant, la rentabilité du secteur a chuté d’un tiers depuis 2006. « L’environnement de taux bas et le goût des épargnants français pour les placements défensifs, en général, et pour l’assurance-vie en euros, en particulier, pèsent sur les profits, car c’est sur les produits risqués que les établissements font leurs meilleures marges », explique Philippe Bruneau, directeur de la clientèle privée et entreprises chez Neuflize OBC. Bref, le marché s’est durci et la concurrence s’exacerbe.
SEUILS INDICATIFS
Dans ce contexte, certains acteurs parviennent à tirer leur épingle du jeu. C’est le cas de BNP Paribas, qui annonçait 230 implantations, 2 000 collaborateurs et 73 milliards d’encours gérés à fin 2012. La banque de la rue d’Antin se présente comme le leader du secteur, même si les différences de périmètre entre établissements rendent les comparaisons difficiles. Alors qu’un client de BNP Paribas est éligible à la banque privée dès 250 000 euros d’actifs financiers, les portes de la Compagnie financière Edmond de Rothschild ne s’ouvrent qu’à partir de 1 million d’euros.
Ces seuils, en réalité, ne sont qu’indicatifs puisqu’il arrive qu’une banque privée accepte un client disposant d’une surface financière moindre si elle juge que son potentiel d’enrichissement prometteur.
DOUBLE SUIVI
Naturellement, plus le niveau d’entrée est bas, plus le nombre de clients potentiels d’une banque augmente et plus il est facile de faire des économies d’échelle. Une logique qui n’a pas échappé à Société générale Private Banking, qui a ramené son seuil de 1 million à 500 000 euros. Au passage, la banque a refondu sa stratégie, optant pour un modèle « intégré », à l’instar de BNP Paribas. Ce qui signifie que les clients fortunés repérés au sein du réseau d’agences ne seront plus systématiquement dirigés sur Paris ou vers l’un des onze centres régionaux du groupe. Ils bénéficieront d’un double suivi : ils conserveront leur chargé de clientèle pour les opérations quotidiennes, mais se verront proposer un suivi par un banquier privé qui leur donnera accès aux expertises de la banque en ingénierie patrimoniale et en conseil en investissement.
« Pour réussir ce changement de braquet, nous allons faire passer nos effectifs de 80 à 240 banquiers privés », annonce Patrick Folléa, directeur de Société générale Private Banking France. Une mobilisation qui montre que, malgré ses difficultés, le secteur, qui représente 40 000 foyers et pèse 50 milliards d’euros d’actifs gérés, suscite encore des convoitises.
Un constat corroboré par la multiplication des acteurs au cours de la dernière décennie. Ont successivement pris pied sur ce marché des assureurs (Axa, Groupama, SwissLife, Allianz, Generali…), des spécialistes de la gestion financière (Carmignac, la Financière de l’Echiquier, Oddo…) et, plus récemment, des conseillers indépendants en gestion de patrimoine (Cyrus Conseil, Primonial…). Malgré leurs ambitions, ces nouveaux venus n’ont pas réussi à bousculer la hiérarchie d’un secteur dominé par les six banques privées adossées à un réseau d’agences (BNP Paribas WM, LCL Banque privée, Crédit agricole Indosuez, Société générale Private Banking, Banque privée 1818 et Crédit mutuel banque privée) et par les indépendants « historiques » : Edmond de Rothschild Asset Management (Edram), Lazard Frères, Neuflize OBC…).
RÉGLEMENTATION BANCAIRE EUROPÉENNE
Fort de leur nom prestigieux, ces derniers continuent de dominer le segment le plus haut de gamme, celui de la gestion de fortune, qui est aussi le plus lucratif. « Ils sont, en revanche, moins bien armés pour séduire la clientèle des chefs d’entreprise qui partiront à la retraite au cours de la prochaine décennie, un marché hautement stratégique, estime Eric Franc, directeur général de la Banque privée 1818. Le prestige et l’épaisseur de la moquette ne suffisent à séduire cette clientèle exigeante et bien informée qui attend des expertises pointues. » Quand aux filiales des spécialistes suisses (Credit Suisse, UBS…) ou américains (JPMorgan), la faiblesse de leur force de frappe commerciale freine leur développement.
Une situation qui, dans d’autres industries, aurait rapidement entraîné un mouvement de concentration. Mais dans la banque privée, les rapprochements sont rares. Car cette activité mobilise relativement peu de capitaux propres, alors que la réglementation bancaire européenne est devenue très exigeante sur ce point. Et, entre gens de bonne compagnie, les raids de flibustiers n’ont pas leur place. Reste qu’un nombre significatif d’acteurs n’ont pas la taille critique et devront s’adosser tôt ou tard à un groupe de plus grande envergure.