Vincent Taupin (Edmond de Rothschild): «La banque privée suisse garde un réel avantage compétitif»
«95 % de nos nouveaux clients sont des entrepreneurs qui ont vendu leur entreprise. L’an dernier, nous avons grâce à eux collecté près de 1,2 milliard d’euros en France et nous espérons faire mieux cette année»
Vincent Taupin, directeur général du groupe Edmond de Rothschild.
A la fin de l’été, la famille Benjamin de Rothschild a retiré le groupe bancaire Edmond de Rothschild de la cote. L’établissement suisse est devenu l’entité de tête de l’ensemble. Ariane de Rothschild en a pris la présidence, confiant la direction à Vincent Taupin. Le groupe gère 155 milliards d’euros d’actifs, dont 66 milliards en banque privée.
Pour un banquier privé, les taux d’intérêt négatifs sont une catastrophe ou l’occasion de se distinguer ?
Ce n’est une bonne nouvelle pour personne. Y compris pour une banque privée comme la nôtre puisque nous sommes structurellement récipiendaires de dépôts plutôt que prêteurs. Le dépôt à vue est, par construction, le placement sans risque par excellence dès lors bien sûr que vous avez confiance dans votre banque. Aujourd’hui, les sicav monétaires servent une performance négative pour tous, le placement sans risque n’existe plus. Les Français ont peut-être un sentiment différent car les fonds euro de l’assurance-vie rémunèrent toujours au-dessus de 1 % et sont considérés comme un placement sans risque. C’est un cas à part. Aujourd’hui, nous répondons par la négative à un client privé qui veut être rémunéré pour un dépôt significatif à six mois. C’est un grand changement. L’objectif de la BCE est que l’argent circule. Cela nous conduit, en tant que banquier privé, à proposer des alternatives plus intéressantes à nos clients.
Par exemple ?
Du côté des placements les plus liquides, les produits structurés sont très en vogue. Schématiquement, ils permettent de profiter de la hausse d’un marché tout en assurant une protection à la baisse. Vous pouvez choisir votre indice boursier, moduler les paramètres du produit, leur souplesse fait leur succès. Nous proposons aussi des fonds très diversifiés, qui sont assez résilients quelles que soient les conditions de marché. Ce ne sont pas les produits les plus « plaisants », mais ils peuvent remplacer le cash. Il faut bien dire qu’en matière d’investissement, la liquidité est souvent une fonction opposée au plaisir. Cela explique pourquoi l’immobilier et le private equity ont le vent en poupe : vous savez dans quoi vous investissez. Souvent, ces placements demandent de grosses mises de fonds, environ 1 million d’euros pour le private equity. Nous essayons donc de les rendre plus accessibles en réduisant le ticket d’entrée. La tendance est clairement à une diversification des placements. La crise de 2008 puis l’affaire Madoff ont eu un rôle éducatif : banquiers, gérants, clients, plus personne ne veut de boîte noire soi-disant magique, à laquelle on ne comprend rien. Une fintech intéresse d’abord les clients autonomes. C’est tout le contraire de la clientèle d’une banque privée.
Les nouveaux acteurs, les fintechs, sont-ils de vrais concurrents pour une maison comme Edmond de Rothschild ?
Très sincèrement, on ne peut pas parler de concurrent. Dans une banque privée les clients veulent avoir à faire à un banquier privé, ils veulent connaître les gérants. Nous sommes bien sûr aiguillonnés par les fintech en matière de reporting, de communication digitale. Cela nous oblige à être à la pointe sur le mobile banking, sur l’e-banking. Mais des acteurs comme N26, Revolut ou Boursorama taillent davantage de croupières aux banques de détail. Pour résister aux fintech qui proposent le tout gratuit, de grands courtiers en ligne comme Charles Schwab et TD Ameritrade, viennent d’annoncer qu’ils basculaient aussi en gratuit là où ils facturaient auparavant 4 dollars par transaction. C’est violent ! Une fintech intéresse d’abord les clients autonomes. C’est tout le contraire de la clientèle d’une banque privée. Il faut évidemment discuter avec un client qui dépose 20 millions d’euros dans votre établissement, lui expliquer ce que vous faites. Il faut l’appeler souvent, notamment quand les marchés baissent, lui proposer d’autres produits, gérer toutes ses problématiques personnelles. Bref, il faut s’occuper de lui.
Qu’est-ce qui est le plus perturbant, l’arrivée du digital ou l’irruption d’une nouvelle génération de riches aux aspirations différentes ?
La bulle Internet de 2000 avait déjà enrichi de jeunes entrepreneurs, on l’oublie souvent ! Aujourd’hui, le phénomène des start-up est plus important qu’à l’époque, mais les millennials millionnaires, outre qu’ils sont encore peu nombreux, ne sont pas différents de ceux qui les ont précédés. Oui, ils veulent « donner du sens » à leur vie mais cette préoccupation infuse la société, au-delà des seuls millennials. On le retrouve sur l’investissement en direct ou autour des actifs réels. Dans les mandats de gestion, l’orientation ISR (investissement socialement responsable) est très prisée. L’encours des fonds ISR grossit plus rapidement que les autres, et il se trouve qu’ils affichent souvent de meilleures performances. La notion d’impact devient une vraie demande, nous avons d’ailleurs beaucoup de produits thématiques pour y répondre.
Quel est le profil type de vos nouveaux clients ?
95 % d’entre eux sont des entrepreneurs qui ont vendu leur entreprise. L’an dernier, nous avons grâce à eux collecté près de 1,2 milliard d’euros en France et nous espérons faire mieux cette année. La quasi-totalité d’entre eux ont une cause qui leur est chère et souhaitent créer leur fondation. C’est l’un des savoir-faire de la famille qui, outre la Fondation ophtalmologique Rothschild, est engagée via un réseau international de dix fondations. Nous conseillons nos clients dans ce domaine. Mais aussi en matière de vin, où ils sont très nombreux à vouloir investir. Le millennial n’est pas très différent, et après nous avoir expressément demandé de communiquer par canaux digitaux interposés, il nous parle finalement autant que les autres.
La place financière suisse s’est-elle remise de la levée du secret bancaire et des nouvelles obligations de transparence ?
Elle a vécu deux événements différents. La fin du secret bancaire et l’amnistie ont fait sortir du pays des montants assez modestes individuellement. Il s’agissait de capitaux souvent déposés par les générations précédentes qui cherchaient la discrétion… En revanche, ce qu’on a appelé le processus de « derisking » a été plus massif pour la place. Sous l’injonction des régulateurs, les clients ont été priés de justifier l’origine de leurs fonds. En cas de nature frauduleuse, la responsabilité pénale des dirigeants bancaires pouvait être engagée. Toutes les banques suisses ont fait le ménage. Nous avons été très stricts, et fait partir l’équivalent de 5 % de nos encours en banque privée sur les trois dernières années. Aujourd’hui la place financière suisse est transparente. Le pays est toujours attractif car il offre une grande stabilité et un réservoir de talents en matière juridique, fiscale et financière, capables de parler plusieurs langues. La banque privée en France a des clients français. La banque privée suisse, dont la clientèle est très internationale, garde un réel avantage compétitif.
Le grand concurrent européen de la Suisse reste le Luxembourg, qui offre le même savoir-faire, la même stabilité. Et la facilité de l’euro. Néanmoins, la concurrence est rude…
Singapour est en effet devenu un grand concurrent pour les fortunes d’Asie et du Moyen Orient, qui se plaçaient assez facilement en Europe il y a quelques années. Monaco attire beaucoup les fortunes africaines.
Le groupe Edmond de Rothschild est-il à l’affût d’acquisitions ?
Aujourd’hui, nous disposons de 750 millions d’euros d’excédent de fonds propres pour financer une éventuelle acquisition. Voire 1 milliard si nous complétons avec de la dette. Deux options s’offrent à nous, grossir en taille en faisant entrer des volumes sur une plateforme existante. Ou acquérir un savoir-faire. C’est ce que nous venons de faire en achetant la société Eraam, spécialiste de la gestion quantitative. Nous sommes en Europe partout où nous souhaitons être. Nous pourrions très bien nous établir hors d’Europe dans un pays à fort potentiel, mais ce sera toujours dans le cadre d’un partenariat.
Source : lopinion.fr
« Qu’importe les contraintes imposées par le marché ! M. Vincent TAUPIN (DG d’Edmond de Rothschild) ne laisse aucune place au pessimisme dans son discours. Quelle que soit la difficulté, il faut innover, construire, se différencier encore et toujours.
Manifestement aujourd’hui plus encore qu’hier, la Banque Privée connaît des moments délicats et doit tenir un discours clair et précis, en menant des actions tout aussi positives et concrètes. C’est ainsi qu’on parvient à progresser et à se distinguer par la proximité, l’écoute, l’expertise, le conseil ! Découvrez cet article qui démontre que ces propos positifs permettent de croître (Exemple : 1,2 Milliard de collecte en France en 2018) en France, Suisse, Luxembourg ou Ailleurs ! »
Antoine Aliotti