Mises en cause à Bruxelles dans l’enquête sur l’Euribor, des banques soulignent, pour leur défense, les consignes données par les autorités.
La Banque de France a cherché à l’époque à éviter une hausse du taux interbancaire, dans le but de ne pas pénaliser le financement de l’économie.

Les banques mises en cause par Bruxelles pour entente sur la fixation du taux interbancaire Euribor, taux de référence de milliards d’euros de contrats de crédit, ont commencé à contre-attaquer. De sources concordantes, les groupes français s’appuient notamment dans ce dossier sur le rôle joué pendant la crise par la Banque de France.

L’affaire remonte à 2013, quand Bruxelles inflige une amende record de 1,7 milliard d’euros à 6 établissements, dont Deutsche Bank, la Société Générale, RBS ou Citigroup. La Commission européenne les accuse alors de s’être concertés et d’avoir manipulé ces taux interbancaires, à partir de 2005, soit à des fins de profit, soit en vue de minimiser ces taux quand la crise financière a éclaté. En cette période de crise, en effet, ces taux d’emprunt entre banques auraient dû flamber, car les banques ne se faisaient plus confiance entre elles et ne se prêtaient plus. Ce qui aurait révélé les difficultés de liquidité des banques.

Si la plupart des banques mises en cause ont accepté de passer un accord avec la Commission européenne, 3 établissements ont refusé de transiger et de négocier une amende : le Crédit Agricole, JP Morgan et HSBC. La banque française aurait jugé les charges trop faibles, sans pouvoir accéder au dossier dans des délais raisonnables. Le Crédit Agricole a par ailleurs fait appel au médiateur européen pour des propos jugés « partiaux » de l’ancien commissaire à la Concurrence Joaquin Almunia et pour la pression qu’il aurait exercée sur des représentants officiels en vue d’accélérer sa mise en cause. Une autre banque française, la Société Générale, a adopté une posture différente (et inédite). Après avoir négocié la deuxième plus grosse amende avec Bruxelles (445,9 millions d’euros) derrière Deutsche Bank, elle a contesté son montant quelques mois plus tard.

Un argument clef

Les banques françaises comptent de fait utiliser ce qu’elles considèrent être un atout maître dans cette procédure, à savoir le rôle joué par la Banque de France, indiquent plusieurs sources. Au coeur de la crise financière, l’institution a ouvertement incité les banques, dans des courriels, à rester mesurées dans leur contribution de taux servant au calcul de l’Euribor. Son souci était moins de ne pas affoler le système financier (la Banque centrale européenne intervenait déjà massivement en injectant des liquidités) que d’assurer le bon fonctionnement du financement de l’économie française, notamment celui des PME. La Banque de France était en effet préoccupée par les répercussions de la hausse de l’indice sur le coût du crédit aux entreprises, dont il est le taux de référence.

Au plus fort de la crise, alors que le marché interbancaire était gelé – puisque les banques ne se prêtaient plus entre elles -, la Banque de France a donc précisé aux établissements français qu’ils devaient prendre en compte dans leurs calculs et leurs contributions à la fixation du taux Euribor le taux de la BCE – qui alimentait les banques en liquidités – et la garantie de l’Etat aux banques. Pour les banques françaises, ce rôle actif de la banque centrale constituerait un argument clef. Aucune des parties n’a souhaité commenter ces informations.

Face à Bruxelles, le Crédit Agricole n’est donc pas prêt à lâcher prise. La peine risquerait en effet d’être double : s’il est reconnu coupable en Europe, cela lui porterait préjudice dans ses opérations aux Etats-Unis. C’est ce qui explique son premier refus de négocier une amende, qui aurait valu reconnaissance de culpabilité. Et c’est ce qui pourrait aussi expliquer la volte-face de la Société Générale.

Mais Bruxelles, de son côté, ne compte pas faire machine arrière. La rébellion du Crédit Agricole pourrait remettre en cause son dossier. Quand il a infligé 1,7 milliard d’euros d’amende à 6 établissements, il n’a pas eu à apporter toute la charge de la preuve. En revanche, dans son bras de fer avec le Crédit Agricole, c’est à la Commission de démontrer la faute de la banque. Dès lors, si le Crédit Agricole obtient gain de cause, « cela mettrait en doute le bien-fondé des amendes du premier volet de son enquête, qui a été beaucoup moins argumenté », relève un avocat spécialisé. Bruxelles ira donc jusqu’au bout.

À noter

La Commission européenne a fait un premier exemple début février. Elle a infligé une amende de 14,9 millions d’euros au courtier Icap. Ce dernier avait refusé un premier accord amiable. Il a fait appel de la sanction.

Le taux Euribor

Comment est-il fixé ? L’Euribor correspond au taux moyen auquel un panel de banques européennes déclarent se financer sur le marché interbancaire en euros, c’est-à-dire le taux auquel ces établissements se prêtent entre eux à court terme, sans garanties.
A quoi sert-il ? Ce taux, calculé pour différentes maturités interbancaires (1 mois, 3 mois, etc.), fait figure de référence pour la fixation d’une multitude de taux utilisés en finance et dans l’économie. Des emprunts obligataires ou immobiliers peuvent notamment être indexés sur l’Euribor.
A quelle fréquence est-il fixé ? L’Euribor est calculé chaque jour.